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Interview

Béatrice Mendo : « La randonnée retranscrit un peu ma démarche créatrice, j’y mets ce que je mets dans mon écriture : le dépassement de soi.»

Béatrice Mendo, écrivaine camerounaise, prend plaisir à jouir et à faire jouir avec les mots. Amoureuse inconditionnelle de lecture, d’écriture et de randonnée la romancière partage sa romance avec la littérature dans un entretien mené par Boris Noah.

Béatrice Mendo

Bonjour Béatrice Mendo. Nous sommes ravis de vous recevoir. Vous êtes écrivaine d’origine camerounaise, diplômée en philologie romane et en sciences sociales. En 2014, vous publiez votre premier fait littéraire, La vie se moque d’être aigre-douce, un recueil de 6 nouvelles paru aux Éditions L’Harmattan. Voudriez-vous nous parler de cette première expérience littéraire ?

J’aime souvent à dire aussi que je suis un « fonctionnaire fantasque » qui aime à célébrer le détail qui soudain fait toute la différence. Effectivement, La vie se moque d’être aigre-douce est ma première expérience littéraire. Pour la petite histoire, c’est en accompagnant ma mère chez l’éditeur l’Harmattan, que je me suis vue presque sommée de prendre mes responsabilités d’écrivaine en publiant enfin l’un des nombreux récits qui dormaient tranquillement dans mon laptop. J’y ai mis des ingrédients de mon cru qui aboutissent à une saveur aigre-douce, parce que l’aigreur est là qui nous entoure et la douceur est là qui la contourne. J’ai notamment une prédilection pour les situations vaudevillesques, dans lesquelles l’excentrique le dispute à l’insolite. Je ne me prive jamais de quelques rebondissements et n’hésite pas à édulcorer le dramatique avec une touche d’humour particulière qui est ma marque de fabrique

Béatrice Mendo - La vie se moque d’être aigre-douce

« La vie se moque d’être aigre-douce » premier ouvrage de Béatrice Mendo

Le sang de nos prières est votre deuxième œuvre parue chez Le Lys Bleu Éditions en 2018. C’est une fictionnalisation des atrocités perpétrées par Boko Haram, à l’Extrême-nord camerounais. La protagoniste, Djamila, est enlevée et torturée par des terroristes islamistes, avant de se retrouver dans le camp des réfugiés d’Olugu. Selon vous, que devrait-on retenir de ce roman ; le martyre de la femme tout simplement ou alors les affres du terrorisme dans cette partie du Cameroun ?

Il est bien difficile de dissocier le martyr que vivent les victimes, des affres d’un terrorisme broyeur d’humanité. Les deux faits sont liés par le sang, celui qu’on verse, celui qu’on perd. J’ai choisi d’évoquer le martyre d’une femme, mais aussi celui d’un homme, et dans cette œuvre, j’évoque aussi la souffrance des enfants qui perdent leur innocence au moment où un adulte leur met une arme dans la main. Enfant, femme et homme, tous un jour doivent affronter l’insoutenable qui s’abat tel un aigle féroce sur leurs vies fragiles. Comme des fétus de paille, ils sont ballotés au gré de la cruauté de leur bourreau. J’en viens à la conclusion que ce qui ne nous a pas tués ne nous rend pas forcément plus fort. Ce qui ne l’a pas tué a rendu le boucher de Kolofata fou, il tue parce qu’il n’a pas été tué. Ce qui n’a pas tué Djamila l’a laissée corps et esprit dans une situation trouble, hésitante sur le chemin tortueux d’une résilience qui se dérobe certains jours.

Vous faites partie du Collectif qui a écrit le livre intitulé La violence n’est pas que physique, publié aux Éditions Adinkra en avril 2021. Pouvez-vous nous en parler ?

Ça a été une expérience édifiante, de participer à cet ouvrage collectif, avec un thème qui m’a tout de suite interpellée. Les mots peuvent flétrir une âme autant que les coups de poing tuméfient la peau. Certains outrages verbaux s’impriment durablement dans la tête de la victime tout juste pour vivre leur sombre vie de cicatrices de l’âme. Iphigénie est victime de la bouche diabolique de son mari, une bouche qui dessine son enfer et la plonge dedans, lui maintient la tête sous l’eau tout en prenant soin de ne pas la noyer, parce qu’elle a encore beaucoup d’injures à subir. La bouche qui insulte Iphigénie a choisi de s’accrocher à ses mollets. On lui couperait les jambes que cette bouche fielleuse continuerait de s’acharner sur des mollets fantômes. L’acharnement, voilà ce qui rend la violence verbale encore plus odieuse.

Beatrice Mendo Collectif Adinkra

Participation à l’œuvre collective, La violence n’est pas que physique, recueil de nouvelle publié aux Éditions Adinkra

Béatrice Mendo, comment concevez-vous la littérature ?

Je vois la littérature, comme une activité qui nous fait transformer le plomb de la banalité en or qui subjugue les esprits.

La littérature permet le déploiement de l’imagination, qui est essence et carburant, substance et combustible. L’imagination permet que les contours de la créativité se dilatent, et tout peut arriver n’importe où et n’importe quand, tout et son contraire. Voilà comment je vois la littérature, comme une activité qui nous fait alchimistes, qui nous fait transformer le plomb de la banalité en or qui subjugue les esprits. Une activité de transformation et de restitution. Le moindre détail de la vie peut être transformé en une substantialité influente, qui captive, édifie et peut-être gouverne les esprits. La littérature est l’espace rêvé pour ce type de transmutation. J’aime à m’imaginer écrivant comme le chimiste emploie son tube à essai, mes mots sont ses molécules, nous vivons alors une belle expérience et avons pour nous l’audace de notre imagination, à la fin, nous contemplons la matière que nous avons créée, qui est née de ce que nous savons,  de ce que nous avons imaginé et espéré, mais aussi qui nous surprend carrément, qui va au-delà de ce que nous avons imaginé. 

L’écrivaine Caroline Meva est qui pour vous ? Et quel rôle a-t-elle joué pour l’ignition de votre passion pour l’écriture ?

Caroline Meva

Caroline Meva, romancière camerounaise

Caroline Meva c’est ma mère, comme je l’ai dit plus haut, c’est alors que je l’accompagnais chez son éditeur qu’elle-même m’a encouragée à me lancer. Je dois aussi dire que j’ai commencé à écrire pour faire comme elle. J’étais tellement émue par sa performance, à la lecture de son premier manuscrit, que je me suis dit que j’allais essayer de faire comme elle. J’ai décidé de faire comme elle, mais à ma façon, et ma façon est un peu… turbulente. Déjà je m’adonne à différents genres : la nouvelle, le roman, le polar, le conte,  le haïku… je me suis même essayée au roman porno. J’aime l’idée de ne pas pouvoir être enfermée dans un genre, et surtout de faire une chose aujourd’hui et son contraire demain, je me meus aussi loin que mon imagination me mène. Tout ça, parce que ma mère m’a donné un conseil : écris tout ce qui te passe par la tête.

Le monde entier m’inspire. Toute l’œuvre de la création concourt à nourrir mon imagination.

 Est-ce que vous avez d’autres écrivains africains et d’ailleurs qui ont influencé votre plume qu’on sait hardie et incisive ?

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J’ai l’impression que c’est le monde entier qui m’inspire. Que toute l’œuvre de la création concourt à nourrir mon imagination. Je crois tout de même que l’écriture de Calixthe Beyala a eu un effet désinhibant chez moi, de même que j’ai du goût pour le trait d’humour et la puissance évocatrice d’Alain Mabanckou. La pertinence de Gaston Kelman ne m’a pas laissée indifférente non plus. Entre autres, je me suis délectée de l’acuité de Tahar Ben Jelloun, et de l’ardeur et de la plénitude de Tierno Monénembé. Ils sont tellement nombreux les écrivains africains qui m’influencent sans même que je n’en ai conscience. Parce que j’adore lire les écrivains africains, et parmi eux beaucoup de Camerounais. Je caresse l’idée de voir la littérature africaine éclabousser le monde entier de sa luminosité et de sa pertinence, lyrisme, alors je ne rate pas ces petits bouts de lumière desquels naîtra certainement un rayon puissant.

Je caresse l’idée de voir la littérature africaine éclabousser le monde entier de sa luminosité et de sa pertinence,

Béatrice Mendo, quels types de livres lisez-vous ?

Je lis de tout, des bandes dessinées à la Bible, le Coran, la Bhagavad-Gita, en passant par tous les romans à ma portée, les magazines, les intrigues policières, la science-fiction, les essais, les romans historiques, les notices des médicaments, les modes d’emploi des appareils ménagers, les manuscrits des autres, les mémoires, les thèses, les rapports, les bilans, il ne se passe pas un jour sans que mes yeux n’avalent des milliers et des milliers de mots. Rire.

Quel est votre genre de prédilection ?

Je crois que j’adore les intrigues policières et les romans historiques, quand on mêle histoire et intrigue policière, je suis aux anges.

Lorsqu’on vous lit, on se rend compte que vous avez un style poétique. Vous avez déjà publié des Nouvelles et un roman. Alors, dans vos projets qu’on imagine nombreux, peut-on s’attendre aussi à un recueil de poèmes ?

J’écris des haïkus pratiquement tous les jours. Le haïku est un poème japonais très court, de 17 syllabes, il dévoile autant la profondeur des choses que leur évanescence. En 2015, j’ai été lauréate de Concours international de haïku, organisé par l’Ambassade du Japon au Sénégal. Cela m’a rassurée sur la qualité de mes haïkus. J’ai 4 recueils de haïkus prêts à l’édition. J’ai un planning d’édition de mes textes qui place les haïkus en 4ème position. Ils seront donc édités, mais après deux recueils de contes et deux recueils de nouvelles qui sont déjà prêts eux aussi.

En 2004, vous êtes finaliste du célèbre jeu français « Questions pour un champion ». Quel souvenir gardez-vous de votre passage remarquable à cette émission qui impose une bonne maîtrise de la culture générale ?

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J’attends avec impatience de prendre ma revanche, parce que j’ai été battue en finale par une brave retraitée anglaise, à la suite de deux erreurs de ma part. Ma culture générale s’est étoffée depuis lors et j’espère de tout mon cœur que j’aurais à nouveau la possibilité de participer à ce jeu, qui meuble d’ailleurs mes après-midis. C’est mon péché mignon, tous les jours, je regarde Samuel Étienne qui a remplacé Julien Lepers au pied levé.

La randonnée retranscrit un peu ma démarche créatrice, j’y mets ce que je mets dans mon écriture : le dépassement de soi.

11. On sait que vous êtes une amoureuse des randonnées. Avec d’autres randonneurs, vous parcourez plusieurs régions du Cameroun. Comment est née cette initiative ?

J’ai rejoint une équipe qui faisait de la randonnée, puis est née une dynamique propre à ce magnifique groupe qui nous pousse à repousser nos propres limites. Nous avons l’aventure chevillée au corps et des trésors d’endurance pour venir à bout des challenges que nous nous donnons. La randonnée retranscrit un peu ma démarche créatrice, j’y mets ce que je mets dans mon écriture : le dépassement de soi. Les autres randonneurs et moi partageons les mêmes objectifs et attitudes ; ne pas hésiter à aller hors des sentiers battus, affronter la difficulté avec détermination, et toujours, une fois au sommet d’un mont, savourer son exploit.

Béatrice-Mendo-Randonée-inspiration

Béatrice Mendo au sommet du Mont Bamboutos, région de l’Ouest avec l’agence de tourisme Randonée Inspiration.

À part la lecture, l’écriture et la randonnée, avez-vous d’autres passions ?

 L’écriture, jusqu’à l’ankylose de mes doigts, la randonnée jusqu’à l’agonie de mes muscles, la lecture jusqu’à l’épuisement de mes yeux.

Béatrice Mendo, nous vous disons merci pour cet échange que vous nous avez accordé. Votre mot de fin ?

J’en ai tellement dit qu’il faut plutôt m’empêcher d’en dire davantage (rire), parce que je suis généreuse en mot, toujours prête à inonder quelqu’un de mots.

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