Dans le récit Les Supplices de la chair, publié chez le Lys bleu, en 2019, l’auteure Caroline Meva conte les aventures de Mabelle à travers ses souvenirs. Mabelle est une femme au soir de sa vie, une vie bien riche. A la suite d’un malaise lié à son insuffisance cardiaque, elle retrouve ses esprits dans un lit d’hôpital. Le spectre de la mort fait défiler les mémoires de son enfance et de sa vie de courtisane.
Marie Madeleine Belomo alias Mabelle est l’aînée d’une fratrie de 5 enfants. La famille vit à Melen, un quartier populaire de la capitale. La maman est une chrétienne « bigote à la limite de l’intégrisme » et une femme battante qui trouve toujours la solution pour remplir les assiettes de ses enfants et ce, malgré les conditions de vie difficiles avec un mari ivrogne qui dépense son maigre pécule d’instituteur dans les bars. Mabelle grandit dans un environnement rigoureux et sécurisé et bien que la famille ait peu de moyens, elle s’épanouit. Elle est une brillante élève au primaire et fait la fierté de ses parents et notamment de sa mère qui rêve pour elle d’un parcours scolaire plus étoffé que le sien. La vie de Mabelle prend un virage inattendu après un viol par un membre de sa famille. Ses repères sont bouleversés, elle perd le gout de vivre. Ses résultats scolaires s’en font ressentir et c’est avec beaucoup de peine qu’elle obtient son certificat d’études primaires. Son père ne voulant pas dépenser plus d’argent dans son éducation (et puis de toutes les façons les femmes à cette époque ne vont pas plus loin dans les études) la retire de l’école. Son père, la considérant désormais comme souillée, cessera ses attouchements nocturnes sur elle.
La famille va s’installer à Binguela, une petite localité du sud du Cameroun, à l’occasion de l’affectation du père comme directeur l’école de la ville. Mabelle intègre l’enseignement ménager des sœurs catholiques. La rencontre avec Pascal, un jeune étudiant l’aidera à retrouver une certaine stabilité. Son histoire avec le jeune homme avorte malheureusement à cause du départ de ce dernier pour la France. Désabusée, jeune maman solo, Mabelle doit se battre pour l’éducation de sa fille et pour soutenir sa mère (les revenus de la famille ont considérablement baissé après le départ du père à la retraite). La fracture avec sa famille se produit quand son père essaie de s’en prendre à sa petite sœur Elise. Mabelle assure la protection de sa cadette et menace ouvertement son père de représailles qui s’en prend à sa mère. Chassée par son père de la demeure familiale, Mabelle va vivre au village, à Abélé.
Désillusionnée et se parant de la haine du genre masculin comme d’un sac à mains, Mabelle gravit alors les échelons du monde de la prostitution.
Sur les conseils de sa cousine et à la recherche d’une vie meilleure, notre héroïne quitte le village pour Nkanè, quartier populaire de Yaoundé et réputé pour être le cœur de la prostitution de la capitale. Elle y est initiée au plus vieux métier du monde. Désillusionnée et se parant de la haine du genre masculin comme d’un sac à mains, Mabelle gravit alors les échelons du monde de la prostitution, de femme du trottoir à proxénète, elle finit par être propriétaire d’un restaurant qui a pignon sur rue, puis d’un club privé libertin où elle accueille une clientèle riche et puissante. Les membres influents du gouvernement y ont leurs habitudes. Rien ne la réconciliera avec les hommes qu’elle tient pour responsables de son innocence perdue. Elle habite désormais à Bastos, quartier cossu de Yaoundé et est propriétaire d’un immeuble de plusieurs étages. Son ambition l’emmène en Europe où elle se forme pour être maîtresse dominatrice. Avec sa nouvelle compétence, son pouvoir sur la gent masculine s’amplifie ; elle prend du plaisir à humilier ses sujets, mais ce plaisir est mêlé de dégoût. Sa rencontre avec Hervé Malo, l’ami de son fils, trente ans plus jeune qu’elle, la chamboule. Elle en tombe follement amoureuse et réalise que son cœur est encore vivant sous sa carapace de glace.
Dans cet opus de Caroline Meva, nous voyageons dans le Cameroun des années 60 à nos jours. L’auteure nous livre des descriptions vivantes qui permettent au lecteur de se retrouver presque physiquement dans chaque endroit et de ressentir pleinement chaque émotion. De Binguela à Bastos en passant par Nkanè, on est transporté dans l’ancien temps. On imagine sans mal la dureté de la vie de Mabelle, sa détresse, sa solitude, sa désillusion. On voit son cœur s’assécher au fil des pages et de ses déceptions. On admire son courage et sa résilience face aux évènements. Son corps souillé et son cœur piétiné, Mabelle s’est autorisée à exister à travers la prostitution ; elle y a trouvé un moyen de survivre aux abus familiaux, à la lâcheté, à l’abandon et à la trahison.
Lorsque Mabelle se retire des affaires, on ressent son amertume de ne plus être cette jeune beauté qui suscitait la jalousie de la gent féminine et faisait tant tourner les têtes des membres de la haute société. Son pouvoir de séduction sur les hommes qui lui permettait de se venger des abus subis dans son enfance lui échappe. Ses égaux masculins lui préfèrent désormais des femmes beaucoup plus jeunes. Son amourette pour l’ami de son fils lui fait entrevoir un court instant la possibilité de ressusciter son cœur mort depuis plusieurs années. On le voit se gonfler d’espoir, se projeter, rêver, mais hélas, cet amour à sens unique ne sera jamais vécu. A l’heure de la vieillesse, elle vit mal son corps qui tombe en décrépitude, ses articulations qui craquent, sa mémoire qui flanche, son anonymat. La naissance de son arrière-petite-fille vient lui redonner le goût à la vie, la réconcilier avec elle-même. Son rang d’aïeule lui permettra d’apprécier les jours qu’il lui reste à vivre.

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